Elle devait être une tour plus haute que le Burj Khalifa. L’émir de Dubaï avait annoncé le début des travaux de la Creek Tower en 2016. À travers de multiples références à l’antiquité, le nouvel élément fort de la skyline dubaïote devait célébrer la culture arabe. Dubaï est réputé pour sa persévérance et son affinité pour les projets les plus fous. Et pourtant, en 2020, l’émirat se résout à suspendre le chantier de la Creek Tower pour une durée indéterminée.
Le Dubaï Creek Tower et les 7 merveilles du monde
La fine tour monte haut dans le ciel.
Face aux éléments, la Dubaï Creek Tower demeure verticale, maintenue par un tissage technique de fils d’acier. Ses 40 mètres de large lui permettent de culminer à plus de 1 350 mètres de haut. La nouvelle création de l’émirat donne le vertige. Et pourtant, il ne s’agit pas seulement de battre le record du monde de la plus haute construction jamais bâtie.
Faire renaître les jardins suspendus de Babylone, telle est l’ambition du Dubaï Creek Tower. Les lignes aériennes d’un minaret turc, une hauteur irréaliste, une géométrie typiquement arabe et les mathématiques omniprésentes confèrent au projet un caractère mythique. Les éléments réunis par l’architecte Santiago Calatrava déroutent les esprits rationnels.
Depuis le dernier étage de la tour, des arbres de grande hauteur s’élancent et capturent la lumière. Dans l’air, les feuillages contrastent avec les arches blanches tandis que, sur le sol, le soleil projette les motifs arabes des vitrages. Nous sommes bien loin du désert.
Sous le dôme de 80 mètres de haut, devant les immenses fenêtres perpétuellement ouvertes, l’espace semble infini pour les hôtes du jardin. La vue sur Dubaï déstabilise. Un voyage en montgolfière pourrait offrir une telle vue, la végétation en moins.
Une autre des 7 merveilles inspire le projet. Doté d’un phare, le grand édifice est conçu « pour envoyer un signal, pas seulement à Dubaï ou aux Émirats arabes unis, mais au monde entier ». Dès le coucher de Soleil, il symbolise le rayonnement du golfe persique au-delà des dunes de sable blanc.
Lorsque le temps est clément, deux ponts d’observation sortent des flancs du phare. Une fois déployés, les balcons transparents offrent une vue panoramique sans fin sur la péninsule arabique.
Mais l’inauguration prévue pour l’exposition universelle de 2020 n’aura pas lieu. L’édifice est loin d’être terminé.
Djeddah Tower : le défi de l’Arabie Saoudite
Le Burj Khalifa était déjà colossal. La création de ses 800 mètres et 168 étages de haut avait nécessité 1,5 milliard de dollars. Il aura fallu aller à Abu Dhabi chercher un soutien financier. Mais 20 millions de personnes viennent visiter le Burj Khalifa chaque année. Ces touristes dépensent environ 30 milliards de dollars par an dans l’émirat (110 milliards de dirhams AED). La plus haute tour du monde rapporte beaucoup d’argent. Et non loin de là, quelqu’un d’autre l’a bien compris.
Le milliardaire Al-Walid ben Talal Al Saoud a commencé à construire un building à Djeddah, en Arabie Saoudite. Aussi connu sous le nom de Kingdom Tower, le grand immeuble futuriste atteindra 1 000 mètres de hauteur. Il s’élèvera presque 200 mètres plus haut que le Burj Khalifa, la ville de Dubaï pourrait perdre son influence touristique. Mais face à la menace des gratte-ciels étrangers, l’émir Al Maktoum ne compte pas se laisser faire.
Il consulte 5 des meilleurs architectes mondiaux et remarque vite la proposition de Calatrava. Les hauteurs promises sont vertigineuses. Ses références à l’antique monde arabe et à sa connaissance séduisent. Et, surtout, son projet peut être réalisé rapidement et à moindre coût au regard de la prouesse à accomplir. Le concept de Creek Tower est né.
La tour animera aussi un nouveau quartier de la ville : le Dubaï Creek Harbour. Les câbles qui soutiennent la Creek Tower prendront racine dans un parc de 20 hectares à la végétation luxuriante. Autour, une zone résidentielle de 6 km² sortira de terre. Il sera possible de rejoindre l’aéroport international de Dubaï en 10 minutes et un nouveau pont sur le Khor Dubaï donnera accès au Downtown Dubaï.
Réserver un hôtel ou faire une croisière en yacht, tout sera possible, le Creek Harbour accueillera de nombreuses structures :
- 10 immeubles de grande hauteur, dont des tours jumelles de 51 étages ;
- des hôtels de luxe ;
- un complexe touristique et un palace ;
- un port ;
- un club nautique ;
- un grand centre commercial ;
- une réserve ornithologique.
Cependant, malgré un concept parfaitement travaillé, la Dubaï Creek Tower est vouée à ne jamais devenir le plus haut gratte-ciel du monde. En effet, pour figurer parmi les prestigieuses constructions, sa partie habitable doit représenter au moins la moitié de sa hauteur totale et sa structure doit être autoporteuse. Les vingt étages de l’édifice sont insuffisants et les haubans la mettent hors concours.
Le coup d’arrêt du Dubaï Creek Tower
Le Burj Khalifa perd son challenger en 2019. Al Saoud et la Djeddah Tower sont enlisés dans des affaires de corruption. De plus, bien que la Creek Tower ne soit techniquement pas un gratte-ciel, elle annonce malgré tout une hauteur bien plus importante que la tour saoudienne. La Djeddah Tower n’obtiendra probablement jamais le titre de tour la plus haute du monde. Le projet est arrêté.
Alors que la Creek Tower n’a plus d’intérêt stratégique, les promoteurs dubaïotes souffrent encore de la crise immobilière de 2008. De nombreux bureaux et logements attendent toujours un acheteur. Le ralentissement économique et la baisse du cours du pétrole n’arrangent rien. La construction vaut 1 milliard de dollars, il devient de plus en plus difficile de financer la structure la plus haute jamais construite.
Bien que les fondations de la Creek Tower soient terminées depuis 2017, l’appel d’offres concernant les travaux en surface se poursuit jusqu’en 2019. En 2020, le projet est suspendu, officiellement en raison de la pandémie de COVID-19, et jusqu’à la stabilisation définitive de la situation sanitaire. Le sommet du bâtiment semble lointain.
Une inauguration prochaine
La Creek Tower bénéficie d’une structure relativement simple. Sa construction pourrait être très rapide.
Les fondations ont été réalisées en un temps record. 170 000 mètres cubes de terre ont été excavés du site et 145 piliers de 75 mètres de profondeur coulés dans le sol. Rien que leur armature métallique pèse autant que deux tours Eiffel. Et pourtant, la base de la future tour aura été terminée avec deux mois d’avance. Il pourrait en être autant pour la suite du chantier.
Avec seulement 40 mètres de diamètre, le bâtiment représente un volume de matériaux modeste comparé à sa hauteur. Sa colonne verticale, épurée et sa faible surface habitable permettent une économie de travail significative.
Il ne faut cependant pas négliger la technicité des haubans en aciers qui stabilisent l’édifice. Certains d’entre eux atteignent une longueur d’un kilomètre. Ils pèsent très lourd et de nombreux challenges attendent certainement déjà les ingénieurs.
Les experts estiment néanmoins que la construction pourrait s’achever en 2025 si le chantier repart.
Le symbole de Dubaï
Dubaï est probablement le seul endroit du globe où les souks côtoient les îles artificielles et la plus grande tour du monde. La cité sculpte continuellement son paysage urbain et l’achèvement de la Dubaï Creek Tower confirmera son rayonnement pour longtemps. S’il voit le jour, l’édifice supplantera l’hôtel de luxe du Burj Al Arab et deviendra la nouvelle icône de l’émirat.
Une chose est sûre, Dubaï a plus d’une fois réalisé des exploits que beaucoup croyaient impossibles. Mais une question reste en suspens, le Dubaï Creek Tower ne serait-il pas une tour de Babel ?